C'est un beau roman

Pourquoi j’ai aimé La petite femelle de Philippe Jaenada

Je ne sais plus trop quand j’ai commencé à lire La petite femelle mais je n’ai pas été une reine de la vitesse avec ce roman (en même temps je ne me suis pas inscrite à un concours de rapidité de lecture )). Je l’ai aimé de la première à la dernière page (700 pages quand même) malgré ma lenteur (ou peut être est ce justement pour cela que je n’étais pas pressée de le finir pour retarder le moment de le refermer).

J’avais vu Philippe Jaenada dans une émission de télévision et outre les éloges concernant son roman, j’avais été séduite par l’auteur lui même, par l’humour qui perçait sous ses interventions, par la personnalité qu’il laissait entrevoir. Sur le plateau, il défendait avec sincérité et conviction mais sans angélisme Pauline Dubuisson.  C’est d’ailleurs le point de départ du livre : le portrait sans nuance, accablant de la jeune femme dessiné au moment du fait divers la concernant (le meurtre de son ancien petit ami en 1950).

Elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordue les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni jamais ne les pas suppliés de lui pardonner et cette résistance frontale, cette insolence les a rendu fous. De rage. Ils l’ont vaincue évidemment, ils l’ont détruite.

Face aux mensonges de la presse (les journalistes à l’époque se contentent de relayer les infos transmises par la police), aux mensonges des inspecteurs qui ont enquêté sur l’affaire, aux mensonges des magistrats et des avocats qui l’ont jugé, Philippe Jaenada a décidé de mener sa propre enquête pour réhabiliter la jeune femme. Si son livre est un roman, ce n’est pas parce qu’il a romancé une partie des faits (au contraire il les reprend un à un, relisant tous les témoignages, tous les rapports, toutes les archives, rejouant la scène du meurtre avec sa femme pour visualiser la trajectoire des balles). Il cite Paul Valéry

Il y a plus faux que le faux, c’est le mélange du vrai et du faux.

et souligne que tous ceux, cinéaste ou écrivains, qui ont repris l’affaire Dubuisson avant lui, ont mêlé fiction et réalité.

Avant d’arriver au fait divers en lui-même, Philippe Jaenada revient sur les ancêtres de Pauline Dubuisson, sur l’éducation qu’elle a reçue exclusivement de son père (qui lui a aussi appris à ne jamais montrer ses faiblesses et plus généralement ce qu’elle ressent), sur la perte de son frère à 9 ans qui l’a beaucoup affecté et au contexte dans lequel elle grandit à Malo les Bains pendant la seconde guerre mondiale, autant d’éléments constitutifs de la personnalité de Pauline Dubuisson.  Dans cette première partie, j’ai lu avec plus qu’intérêt les détails concernant l’opération Dynamo, la destruction de Dunkerque, l’occupation par les allemands car l’écrivain a une façon de raconter l’histoire que j’ai vraiment trouvé passionnante.

Au delà de son souci des détails (pas une seconde d’ennui pourtant), de sa rigueur, de sa pugnacité, de son entêtement à toujours interroger ce qui a fini par s’établir comme des évidences, j’ai aimé son style, son humour, son sens de la dérision.

Philippe Jaenada cultive avec brio l’art de la digression en commentant entre parenthèses ce qu’il écrit soit pour approfondir un point soit pour faire un lien avec sa vie et nous en raconter un épisode. Jamais il ne nous perd dans ces parenthèses pourtant nombreuses. Au contraire c’est souvent très jubilatoire à lire.

Et puis La petite femelle se lit comme une enquête policière même si on connait déjà la victime, la coupable et l’issue, l’auteur distille dans son récit un suspense des scènes précédant le meurtre aux derniers moments de la vie de Pauline Dubuisson en passant par le procès, qui m’a tenu en haleine.

Elle sait que ce n’est pas elle qu’on juge mais une Pauline qu’on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux, sans qu’elle puisse intervenir; pour tout le monde c’est la vraie Pauline

Parce que La petite femelle est le portrait d’une femme haïe et seule face à son époque, parce que Philippe Jaenada a une voix d’écrivain unique, singulière, un regard à la fois drôle et sensible, je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce roman.

9 Comments

    • tout à fait d’accord avec toi, les livres où je prends un tel plaisir de lecture ne sont pas si nombreux

  1. Pingback: Bien-sûr que les poissons ont froid : le 1er roman de Fanny Ruwet

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.