Mes sept premiers livres étaient directement inspirés de la ma vie. A un certain moment, j’avais raconté à peu près tout ce qui m’était arrivé d’intéressant. Comme je n’allais pas décrire mes courses au Franprix, je me suis lancé dans un roman de fiction pure. Au bout de 250 pages, je l’ai relu, il n’avait aucun intérêt. Et puis, un beau jour, j’ai réalisé qu’il y avait d’autres vies que la mienne… Philippe Jaenada, l’Express, 16 août 2017
Je n’ai pas lu les 7 premiers livres de Philippe Jaenada, ma rencontre avec cet écrivain s’est faite lorsqu’il est passé à ce qu’on nomme exofiction. Je l’ai déjà raconté à l’époque de ma chronique sur La petite femelle mais c’est l’homme avant son œuvre qui m’a plu. Je l’ai écouté parler de ce « roman » (je mets des guillemets parce que l’écrivain ne change rien aux faits, n’invente pas, il s’appuie sur des documents d’archives, des rapports de police mais il y a quand même de la fiction dans la construction du livre, dans ses digressions) que je n’avais pas encore lu, je l’ai trouvé drôle, loin de certains clichés de l’écrivain parisien autocentré sur sa petite personne et surtout défendant avec un tel enthousiasme son personnage principal que je n’avais qu’une envie …m’isoler en quelque part et plonger dans son histoire.
Dès les premières pages de La serpe, j’ai su que j’avais retrouvé tout ce qui distingue et fait la force de Philippe Jaenada : son art génial de la digression (il arrive à ouvrir plusieurs parenthèses mais jamais il ne me perd en route et surtout il retombe sur ses pattes comme un chat), son humour, son empathie pour ses personnages (sans jamais cacher leur noirceur), son sens du récit, sa façon de raconter à la fois l’histoire d’un homme et celle d’un pays à une époque bien particulière, sa manière d’enquêter en conviant son lecteur à ses côtés (et pour moi c’est bien plus « jouissif » qu’un roman policier).
Comment après avoir enquêté et dressé les portraits de Pauline Dubuisson et de Bruno Sulak (qui défraya la chronique comme ennemi public numéro 1), comment Philippe Jaenada est-il « tombé » sur Henri Girard et a décidé d’en faire le personnage principal de La serpe ?
Un jour, l’un de mes amis me dit « Tu devrais faire un livre sur mon grand-père, Georges Arnaud, il a été millionnaire, clochard, militant FLN, c’est lui qui a écrit Le Salaire de la peur, adapté au cinéma avec Montant et Vanel ». Je n’étais pas très chaud. Et puis, il ajoute : » Ah oui, il a aussi été accusé d’avoir tué une partie de sa famille, dont son père, à coups de serpe, en 1941… ». Là ca changeait tout, je me suis dit que je tenais un personnage de méchant comme j’en cherche toujours. Même si, en enquêtant, j’ai fini par gratter les couches de noir dont on l’avait recouvert… »
Comme avec La Petite Femelle, Philippe Jaenada débute son livre en se posant comme narrateur/enquêteur par une scène drôle dont il a le secret (et qui sera le début d’une longue série de sourires et de rires provoqués par ses lignes) et nous plonge dans la vie d’Henri Girard en brossant un portrait de ses parents, de ses grands-parents et en racontant son enfance (Henri a perdu sa mère Valentine à l’âge de 9 ans, cela aura une incidence sur toute sa vie).
Il ne le lâche plus jusqu’à sa mort et à travers les différentes étapes de sa vie, ses amours, ses coups d’éclat, ses colères, ses engagements, son travail en tant qu’auteur (avec en prime, une comparaison très intéressante entre le roman Le salaire de la peur et le film…et c’est un autre point fort de Philippe Jaenada, on apprend toujours plein de choses en le lisant sans que ce soit jamais rébarbatif). Il dresse le portrait d’un homme atypique, tout en demi-teintes et, malin, en faisant une ellipse volontaire sur l’évènement central de La serpe (il le fait tellement bien qu’à la limite, on ne s’en rend pas compte).
On « juge » alors la suite à l’aune de tous les éléments accumulés dans cette première partie de La serpe avant d’attaquer le cœur de l’enquête elle-même, celle où l’écrivain épluche les archives, se rend sur les lieux du crime dans le Périgord, tâte l’atmosphère de la ville, lit tout ce qu’il peut sur l’affaire et son traitement à l’époque pour revenir sur les faits un par un.
Cela pourrait être un peu aride parfois car il rentre vraiment dans les détails (Philippe Jaenada intitule même un de ses chapitres « Le tunnel »), reprenant élément par élément, déclaration par déclaration, preuve par preuve mais l’écrivain s’arrange pour rendre son récit beaucoup plus digeste (et drôle souvent) en mêlant à son enquête des scènes de la vie quotidienne avec un sens de l’observation et du détail pour le moins savoureux. Ses scènes dans les restaurants quand il dépeint les autres couples ou qu’il est victime d’un quiproquo, par exemple, sont vraiment très réussies !
L’écrivain a, en plus, un sens poussé de l’auto-dérision qui contrebalance de manière bienvenue les détails glaçants du triple meurtre dont est accusé Henri Girard.
La serpe est un pavé de plus de 600 pages (je ne sais pas combien de temps il a fallu à l’écrivain pour écrire ce livre mais quel travail !), peut être moins facile à lire que ….(fill the blank) mais il a une façon d’analyser les âmes comme les faits avec une telle minutie, y allant couche par couche, avec une gouaille qui n’appartient qu’à lui que cela cela est passionnant de la première à la dernière page !
7 Comments
Voilà qui me donne bien envie de découvrir ce livre! J’adore les pavés de 600 pages (quand ils sont bien écrits) qui m’accompagnent longtemps!
c’est tout à fait cela : au moins ils t’accompagnent un petit moment (les livres lus quasi en un soir je les oublie plus vite )
Hmmm j’avais tant aimé la Petite Femelle, et comme toi j’aime beaucoup l’écrivain, l’homme avant ses livres… mais 600 pages, wouaah…
je crois que j’aime bien les pavés même s’ils peuvent avoir un côté décourageant