Je connaissais Leila Slimani pour ses romans Dans le jardin de l’ogre (après avoir lu cet essai, je comprends un peu mieux l’accueil qu’a pu recevoir dans son pays ce roman où il est question d’une femme nymphomane) et Chanson douce qui a obtenu en 2016 le prix Goncourt. Je ne regarde quasiment pas la télévision mais il parait qu’elle est invitée sur pas mal de plateaux de télé en ce moment.
Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc n’est pas un essai sociologique mais le recueil de la parole de femmes et d’hommes marocains plus libres que les autres ou qui ont un regard assez critique sur la société marocaine et ses rapports avec la sexualité pour avoir envie d’en témoigner, peut être « éveiller les consciences » et qui sait, même si cela est une goutte d’eau, faire évoluer les choses.
Est ce qu’une situation sous prétexte qu’elle est culturelle (ce que l’auteur démonte par ailleurs) est sensée perdurer ? De rencontre en rencontre, Leila Slimani dresse le portrait d’une société hypocrite, où le regard de l’autre semble guider toute conduite, où la consommation de pornographie est très forte mais où toute sexualité en dehors du mariage n’est pas sensée exister.
Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc dépasse largement la simple accumulation de témoignages car il propose par exemple l’éclairage d’une chercheuse en théologie, Asma Lamrabet :
‘N’importe qui peut dire n’importe quoi au nom de la religion. Dès qu’on veut justifier le fait de vous dominer, on vous assène cette phrase « C’est le Coran qui le dit ».Il faut que les femmes aient les outils pour argumenter face à cette inculture religieuse généralisée. Nous ne devons pas accepter n’importe quoi au nom du sacré. »
ou celui du sociologue Dialmy qui explique très finement ce qui peut se résumer à une phrase :
« Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette. »
Ce qu’il faut souligner aussi, malgré le fait que les hommes ont une liberté (celle d’avoir une vie sexuelle hors mariage puisqu’il n’y aucun moyen de le vérifier) que n’ont pas les femmes, c’est que le propos ne tombe pas dans le manichéisme : les hommes ne sont pas vus comme des ennemis et les femmes ne sont pas forcément toutes des victimes. L’éditorialiste Sanaa Al Aji rappelle :
« Eux aussi souffrent de ce malaise, de cette ambiguïté. Ils ont eux aussi envie que les relations avec les femmes soient plus simples. Il faut dire que les femmes ont, elles aussi, un lien mercantile avec leurs corps. Pour beaucoup d’entre elles, le mari représente d’abord un avancement social. L’homme donne une dot en contrepartie du mariage. (…) Beaucoup de femmes veulent la modernité mais elles veulent en même temps que le mari gagne de l’argent et s’occupe d’elles. Très peu assument vraiment la modernité. »
Il n’empêche qu’au Maroc les relations hétérosexuelles hors mariage, les actes homosexuels et l’avortement sont aujourd’hui punis par le code pénal.
Sexe et Mensonges a été adapté en un roman graphique avec l’auteur de BD Laetitia Coryn. Paroles d’honneur est aussi engagé que Sexe et Mensonges et même si, du fait du format, la parole des femmes est moins développée que dans l’essai il reflète une réalité aussi complexe à appréhender.
Enfin il se conclut, dans les derniers dessins, avec la parole d’ un homme. Ce dernier dit qu’il n’est pas d’accord avec la morale rétrograde et hypocrite qui règne autour de lui. Peut être un des signes que la société marocaine est en train de changer.
5 Comments
Je vous conseille le très beau livre » Le désespoir voilé. Femmes et féministes de Palestine. » de Norma MARCOS. Je pense qu’un petit parallèle peut être fait entre les deux ouvrages.
S’agissant de l’homosexualité qui est prohibée au Maroc, c’est vrai. Néanmoins, la Cour de cassation a reconnu, en 2015, la validité d’un mariage entre deux personnes de même sexe dont l’une est de nationalité marocaine.
Dans le cadre d’un mariage conclu entre un français et un étranger, la loi national de chacun des époux s’applique. En l’espèce, la Cour de cassation a fait primer la loi française à la convention franco-marocaine, laquelle ayant une valeur supérieure à celle de la loi.
J’ai failli acheter le roman graphique qui me tentait beaucoup mais je ne savais pas du tout qu’il était tiré d’un essai de l’auteur. Ca a l’air très intéressant, j’espère avoir l’occasion de le lire.
l’essai est forcément plus développé mais le roman graphique n’est pas pour autant simpliste
pour ce qui est du droit des femmes, on assiste plus à une régression qu’à un progrès depuis quelques temps : j’aimerais croire que les choses vont aller en s’améliorant, mais….
moi aussi j’aimerais croire que les choses vont aller en s’améliorant (les gens sont plus éduqués qu’avant non ? et pourtant )