Si je ne craignais pas les titres à rallonge, j’aurais écrit, à propos d’Un poisson sur la lune de David Vann, « le livre qui vous fait vivre comme dans la tête d’un maniaco-dépressif ». Je ne suis pas sûre que ce soit très vendeur à l’heure des « good feel book » et de cette quasi interdiction du spleen. Angèle en a fait une chanson :
Cela me parait pourtant la meilleure façon de résumer le dernier roman de David Vann d’abord parce que j’ai été bluffée par la justesse et la précision avec laquelle il décrit toutes les pensées de cet homme (Jim)qui a décidé d’en finir avec la vie. Je me suis même demandée si l’auteur souffrait lui même de dépression.
Ensuite j’ai pensé à pas mal de livres qui traitent de cette maladie mentale :
–La succession de Jean-Paul Dubois, où l’héritage n’est pas que matériel mais aussi tragique comme si le suicide se transmettait dans les gènes
–L’autre qu’on adorait de Catherine Cusset, roman écrit suite au suicide d’un ami très cher de l’auteure. Je m’étais retrouvée dans l’hypersensibilité de Thomas en lisant ses mots de Catherine Cusset :
« Je suis ton amie. Je ne suis pas méchante, tu l’as compris. Mais comme j’ignore la fragilité, comme j’ignore le mal qu’on fait à l’autre en posant le doigt sur ses zones les plus sensibles et en appuyant dessus ! »
–Avec toutes mes sympathies d’Olivia de Lamberterie ou le portrait d’un frère qu’elle adorait et qui s’est suicidé
Il m’a semblé que pour la première fois, l’auteur adoptait un point de vue différent, sans utiliser le « je », nous lecteurs, nous sommes dans la tête de Jim.
Le livre s’ouvre alors que Doug vient chercher Jim, son frère à l’aéroport. Le psy a été formel : Jim ne doit jamais rester seul. Mais Doug le houspille, reprenant à son compte ces phrases si souvent entendues face à quelqu’un qui est dépressif :
« Tu ferais mieux de te ressaisir. Des menaces, parce que ça va l’aider, c’est bien connu. »
S’installe en quelques pages, la sensation perpétuelle d’étouffement de Jim. Avec Un poisson sur la lune, on est très loin d’un traitement journalistique ou médical de la dépression. Lors d’un rendez vous avec le psy, Jim compare la dépression qui s’abat sur lui et le met à terre avec des vagues puissantes. Le passage est réellement magnifique !
Pourquoi Jim a fait le voyage depuis l’Alaska où il est installé ? Au début, j’ai cru qu’il cherchait la cause de son désespoir en rendant visite à ses proches : ses enfants (dont son fils David …qui n’est autre que David Vann), son frère, son dernière femme, ses parents. Ou peut-être cherchait-t-il encore une raison de s’accrocher à la vie ? Très vite, j’ai compris qu’il s’agissait de dernières fois, d’adieux. Comme dans Avec toutes mes sympathies, même tout l’amour des siens, ne peut le sauver. Pour Jim, c’est déjà trop tard.
Un poisson sur la lune pose une question cruciale : qu’est ce qui donne sens à la vie ?
A propos de l’argent, Jim dit à ses enfants :
« Ne vous rendez pas esclaves de l’argent. Et fichez vous de ce que pensent les autres. Encore un truc inutile. »
A la sensation d’étouffement, s’ajoute celle d’un temps qui semble s’étirer de manière infinie :
« Comment survivre assez longtemps pour atteindre ce moment où la vie redevient quelque chose de désirable ? »
Un poisson dans la lune est un roman très noir, à l’écriture au scalpel, pas dénué d’humour par petites touches et qui laisse un sentiment d’impuissance face à un homme que rien ne peut aider.
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