J’ai ouvert Rhapsodie des oubliés avec un certain nombre d’à priori en tête. En gros j’avais peur de tomber sur un roman parlant du Paris populaire par quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds et avec une bonne dose de feel good. Pas franchement positif.
Et puis j’ai mis mes pas dans ceux d’Abad…
…cet ado syro-libanais de 13 ans, en plein explosion hormonale, et je l’ai suivi dans ce Paris pas-de-carte-postale entre la Goutte d’or et Barbès, dans cette rue qui « raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon français avec des métèques et des visages bruns dedans. »
Pourquoi Rhapsodie des oubliés a fait mouche
Ce qui m’a frappé dès que j’ai ouvert ce roman, c’est la langue de Sofia Aouine, une langue à la fois argotique et littéraire, à la fois crue et poétique, pleine d’inventivité. Avec ces mots là, on sent combien ce quartier sale, pauvre, violent, où la mort est très présente, Abad a envie de le fuir à toutes jambes mais combien aussi il y est attaché et combien il aimerait le « sauver ».
Cette langue est drôle, évitant le misérabilisme dans lequel le roman aurait pu tomber. Drôle quand elle nous parle de cet ado submergé par ses désirs sexuels, drôle quand elle surnomme les filles en jilhab des Batman et les « pseudo-iman façon 2.0 » les Barbapapa, même si la réalité derrière ne l’est pas.
« Celles habillées tout en noir comme des fantômes qui passent dans la rue Léon en rasant les murs« .
Cette langue est lucide. Les parents d’Abad triment comme des dingues pour 3 francs 6 sous. Abad nous montre une réalité sociale absente des médias en règle générale, très loin de la vie léchée et rêvée d’Instagram et qui fait un peu tâche dans cette idée très répandue aujourd’hui selon laquelle « quand on veut, on peut, tout est une question de motivation et de volonté ». Si les influences musicales de l’auteure sont la soul music et le hip hop (en annexe, elle propose une playlist pour accompagner la lecture de son roman), j’avais plutôt en tête la chanson de Maxime Leforestier « Etre né quelque part« .
Mais par dessus tout ce qui m’a touché, c’est l’humanité de ce premier roman. J’ai pensé à Ken Loach, un des rares réalisateurs qui ose encore faire des films « sociaux », à qui on peut reprocher d’être trop démonstratif dans ce qu’il veut dénoncer mais dont les personnages sont toujours incroyablement humains et touchants.
Ces oubliés sont Gervaise, qui tapine pour rembourser une dette qui n’en finira jamais, Odette, la vieille voisine, Ethel, la femme qui « soigne de l’intérieur » mais aussi ce premier amour aperçu de fenêtre à fenêtre d’appartement et séquestré par son frère. Toutes ces femmes vont aider Abad, chacune à leur manière, à s’ouvrir dans cette ville où personne ne se parle. Elles vont l’aider à se réconcilier avec son enfance, à s’autoriser à croire à un plus loin même si le présent le cloue au sol.
C’est cash, sensible, singulier, étouffant parfois, virevoltant aussi, bref je ne regrette pas une seconde de m’être mêlée à la Rhapsodie des oubliés !
Rhapsodie des oubliés, Sofia Aouine, Editions de la Martinière