Peut-on quand on est passionné par un auteur, qu’on connaît son oeuvre sur le bout des doigts, qu’on a passé des mois à faire des recherches à son sujet, écrire une biographie qui ne soit ni ennuyeuse (l’envie de tout dire et de montrer tout ce qu’on a appris ) ni hagiographique ? La réponse est oui ! C’est le pari réussi par Titiou Lecoq et son livre Honoré de Balzac et moi.
Après avoir expliqué en introduction comment l’idée d’écrire sur Balzac lui est venue, Titiou Lecoq se lance dans le récit de la vie d’un écrivain qui, malgré tout l’argent rapporté par ses succès, est ruiné à 43 ans.
Au passage, elle s’interroge sur le portrait effroyable qui a été fait de sa mère (par Balzac lui même, par Zweig aussi), revenant sur son mariage (à 18 ans avec un homme de 50 ans !) rappelant que cette mère qui n’a probablement pas su exprimer son amour, a toujours été là quand Balzac avait besoin d’elle. L’auteure montre, tout au long du livre, comment Balzac s’est servi de son imagination pour réécrire son propre passé.
Honoré et moi : Incroyablement moderne
Ce qui m’a frappé dans Honoré et moi c’est la modernité du propos à plusieurs reprises. Balzac angoisse face à l’argent (ou plutôt au manque d’argent). Titiou Lecoq commente :
« Dans la société de consommation, on est toujours pauvre parce qu’on se sent toujours le pauvre d’un autre. »
Balzac est critiqué car, pour subvenir à ses besoins, il fait de l’alimentaire. Aujourd’hui encore lier production littéraire et argent est considéré comme un blasphème.
On lui reproche aussi quelque chose qu’on entend toujours à propos des écrivains :
« Quelqu’un qui écrit autant ne peut pas respecter la littérature ».
Il écrit sur le mariage et sur la place des femmes dans la société, ce qui est déconsidérée par la critique littéraire de son époque. Pourtant en montrant que l’intime est politique, il a plus d’un siècle d’avance. S’il n’est pas un « féministe », lorsqu’il décrit, à travers l’un de ses personnages, le quotidien d’une mère de famille, c’est criant de vérité.
Terriblement humain
Titiou Lecoq, en prenant le parti de raconter les malchances, bides et fiascos de l’écrivain, déboulonne le mythe du génie littéraire. Balzac n’a pas un physique facile (mais un regard très pénétrant qui séduit les femmes) et souffre du décalage entre celui-ci (il est joufflu, robuste, petit) et sa nature profonde. Alors il se compose un personnage à l’aide de vêtements chers et excentriques. Obsédé par l’idée d’être célèbre et riche, il connaît échec sur échec dès qu’il pense faire des affaires et est de plus en plus endetté.
Il est plus pauvre à 38 ans qu’à 29 alors qu’il a travaillé comme un damné. »
Il est certes très talentueux, a une capacité de travail énorme mais il n’est pas un surhomme. Il est humain avec ses défauts et ses failles.
C’est précisément cela qui me touche le plus chez lui. Il n’arrive pas à être raisonnable, il est incapable de résister aux tentations, alors qu’il est criblé de dettes, il sort de plus de plus.
Le roman est bien plus riche que ce que je viens de vous en dire : il montre comment les problèmes constants de l’écrivain ont permis de faire entrer l’argent en littérature sous toutes les formes (système financier, rapport personnel à l’argent), il raconte ses histoires d’amour. Il construit des passerelles entre passé et présent, les interrogations soulevées étant intemporelles.
Si j’ai autant aimé Honoré et moi , c’est aussi parce qu’à bien des reprises, je me suis sentie en accord avec la vision de la vie de Titiou Lecoq :
L’un des innombrables problèmes posés par cette croyance en une hiérarchie du vivant comme des humains entre eux, c’est qu’elle fait perdre leur estime d’eux-mêmes aux simples mortels; elle tétanise les esprits, dissuade celles et ceux qui doutent -et déresponsabilisent les citoyens face à leur destinée. Le mythe du grand homme ou du surhomme est un poison infantilisant qui continue d’infuser notre société. Il nous fait attendre l’arrivée d’un homme fort pour sauver un pays ou une communauté, comme on espérait le croisement entre le Messie et un père de famille idéal.
Aurait-il dû pour autant économiser sa santé comme son père, Bernard-François, se coucher tôt tous les soirs, se priver de sucreries, prendre une position professionnelle sûre, ne pas faire d’excès, faire un mariage de raison, se faire chier pendant quatre-vingt simplement pour arriver à 80 ans ?
C’est drôle, c’est décapant et cela me donne très envie de lire l’essai de Titiou Lecoq sur la répartition des tâches entre hommes et femmes !
Honoré et moi, Titiou Lecoq, L’Iconoclaste