C’est le premier livre depuis le début du confinement que je lis sans penser à autre chose plus ou moins rapidement, sans m’endormir ou sans avoir envie de le reposer. Ce second roman d’Amélie Cordonnier, Un loup quelque part, je l’ai dévoré en une journée alors même si dans la situation actuelle, il est compliqué de se procurer des livres (au moment même où nous sommes, par définition, plus disponibles pour lire c’est quand même ironique), je voulais absolument vous en parler.
L’histoire ? Celle d’une mère qui commence à dérailler, doucement d’abord puis crescendo le jour où le pédiatre découvre une tâche de couleur dans les plis du cou de son fils Alban, 5 mois. Le pédiatre la rassure, ce n’est rien de grave, il s’agit juste d’une tâche de pigmentation mais le doute a commencé à s’immiscer dans son esprit.
Très vite, « ces tâches de mocheté » apparaissent dans le dos de l’enfant, sa sœur qui prend son bain avec lui, croit qu’il s’agit de chocolat et essaie de les enlever.
L’enfant que cette mère a imaginé, rêvé, ce n’est pas celui là.
Non, ce qui l’assomme et la dévaste, c’est l’incompréhension et la peur. La peur inavouable de ne pas réussir à aimer cet enfant, ce bébé à la couleur non identifiée, qui n’a rien à voir, mais alors rien du tout avec celui qu’elle désirait.
Au début, j’ai ri jaune en lisant qu’elle rêvait d’échanger cet enfant comme on le fait avec un vêtement car il m’est arrivé, sur le ton de le plaisanterie, de parler de service après vente où rendre les enfants quand ils sont insupportables et vous tapent sur les nerfs.
Cette femme qui se sent seule face à son mari qui ne voit pas à quel point elle se sent mal, face à ses proches à qui elle n’arrive pas à parler, j’ai eu envie de lui dire que l’instinct maternel est une construction même si on nous élève avec l’idée qu’il vient à toutes de manière naturelle :
L’instinct maternel, on ne lui a pas proposé à la conception.
Et puis le malaise a pris de plus en plus de place à mesure que sa folie la grignotait. Elle se met ainsi à noter chaque jour les étapes de la métamorphose de son enfant (ne cessant d’avoir en tête le livre éponyme de Kafka). Il y a sûrement des mères inquiètes qui prennent la température de leur enfant tous les jours, elle, elle « prend sa couleur ».
J’ai l’impression d’en avoir trop dit sur l’intrigue et pourtant Un loup quelque part est mille fois plus riche que ce que je vous ai raconté. Au delà de l’originalité de l’histoire, j’ai trouvé une vraie voix dans ce roman, une façon de tourner les phrases, de marier les mots, qui m’a conquise.
J’ai perçu de l’humour sous la noirceur. J’ai été aussi particulièrement émue par les pages consacrées aux parents de l’héroïne, à ce père qui a toujours compté ses sous alors qu’il avait un travail très dur et physique, ses gestes qui trahissent son milieu social et qui la bouleversent.
Et puis Amélie Cordonnier crée une atmosphère où le suspense grandit et où on finit par ne plus pouvoir fermer le livre parce qu’on veut absolument connaître l’issue.
Pourquoi il faut lire Un loup quelque part ?
Un loup quelque part brise un tabou, aborde un sujet dont on ne parle pas ou peu par culpabilité et honte, par peur, celui du désamour maternel. En mettant en scène cette mère qui n’arrive pas à aimer son enfant, ce roman dit aux femmes à qui cela est arrivé ou arrivera, vous n’êtes pas seule.
Bien-sûr ce livre est dérangeant, glaçant parfois mais il propose une vision totalement différente de la mère parfaite version 2.0 véhiculée par les réseaux sociaux et réintroduit bien des nuances dans une vision si idéalisée et stéréotypée.
Et puis ce qui pour moi reste le plus important, il y a la plume d’Amélie Cordonnier qui m’a complètement séduite en quelques pages.
Bref quand vous pourrez à nouveau entrer dans une librairie, je vous conseille vivement de vous emparer d’Un loup quelque part d’Amélie Cordonnier.
Un loup quelque part, Amélie Cordonnier, Flammarion