J’ai déjà chroniqué plusieurs livres de Jón Kalman Stefánsson. J’ai découvert cet auteur grâce au Prix des lectrices Elle et son magnifique, éblouissant, virevoltant roman, Asta (qui n’a rien gagné et qui n’a pas du tout fait l’unanimité mais qui a remporté par la suite le prix Folio des libraires 2020 ). Depuis j’ai cherché méthodiquement et un à un, les autres livres qu’il a écrits (et je me suis aussi plus penchée sur la littérature islandaise car même si chacun a sa plume, j’ai retrouvé une poésie, un regard sur le monde entre les auteurs lus). Lumière d’été puis vient la nuit est le dernier livre paru en France de Jón Kalman Stefánsson, toujours traduit par le formidable Eric Boury. En Islande, ce roman est paru en 2005, il est donc bien antérieur à Asta.
Alors soit Lumière d’été puis vient la nuit n’a pas cette construction qui vous donne le tournis, vous étourdit, il n’a pas la puissance romanesque d’Asta (qui pour moi reste son plus beau roman car sa plus belle histoire d’amour) mais quel plaisir de lire chaque page, chaque ligne, chaque mot de Jón Kalman Stefánsson si on est sensible à sa musicalité.
L’histoire (ou plutôt les histoires car ici l’auteur nous raconte plusieurs histoires) se passe dans un petit village d’Islande de 400 âmes, un village comme les autres, sauf qu’il n’y a ni église ni cimetière. Dans ce village, la proportion d’octogénaires est la plus élevée d’Islande mais personne n’a jamais découvert le secret de cette longévité. Le village est en pleine campagne, près d’un fjord. Comme dans les autres romans de Jón Kalman Stefánsson, l’environnement parait à la fois hostile et sauvage et les nuits particulièrement noires et belles (l’écrivain sait si bien les décrire).
Jón Kalman Stefánsson nous plonge dans ce village en nous parlant de l’Astronome, un homme qui dirige l’Atelier de Tricot et qui se met soudain à rêver en latin, de la factrice qui lit toutes les lettres qui transitent par elle, du maire et de sa femme, d’Elisabeth, d’Eyglo et de Jakob et de bien d’autres habitants. Il ne leur arrive rien d’extraordinaire mais Jón Kalman Stefánsson a le don de nous embarquer avec lui dans son récit en utilisant le « nous » (un peu déroutant au début) et en ayant une manière de raconter les histoires qui me donnent souvent l’impression d’être comme une enfant qui attend qu’on ouvre l’album de contes et de légendes (et même s’il s’agit bien d’histoire d’adultes) le soir venu.
Comme dans ses autres romans, Jón Kalman Stefánsson touche à l’universel en nous questionnant, à travers ses récits, sur le sens de la vie, la solitude, la mort, le désir, l’amour, la douleur, le bonheur.
Il est des blessures si profondes et si proches du coeur, que même la pluie sur les vitres de la cuisine devient parfois mortelle.
Il y a des choses en ce moment qu’il faut se garder d’enfermer dans les mots pour ne pas risquer de les abîmer.
J’aime ses histoires de fantômes alors que ce n’est pas un genre qui m’attire, j’aime ses traits d’humour, sa poésie, sa mélancolie. J’aime la façon dont il parle d’amour et de sexe. Sous sa plume, les femmes sont souvent ensorcelantes, les timidités sont légions, certains se frôleront toute leur vie sans jamais oser faire le premier pas et j’aime cette idée.
Chez lui, il y a le goût des lettres manuscrites qu’on s’envoie (avec le facteur, la poste, elles ont souvent une grande place dans ses écrits) et je ne peux être qu’aussi nostalgique que lui à l’idée qu’aujourd’hui tous les messages sont instantanés et appelés à disparaitre avec nos ordinateurs. Ainsi nous ne laisserons aucune trace.
Lumière d’été puis vient la nuit est un roman qui se déguste. Pour moi, ce serait quasi un contre sens de le lire avidement, le plus vite possible comme certains pages turner car entre les lignes, Jón Kalman Stefánsson, nous incite à ralentir et à résister face à ce monde où il faut toujours aller plus vite, avoir tout tout de suite, produire et consommer plus.
J’ai attendu longtemps avant de me décider à lire ce roman car l’idée de ne plus avoir de livre de Jón Kalman Stefánsson sous le coude m’attristait beaucoup. Heureusement sur ma table de chevet, m’attendent L’embellie d’Audur Ava Olafsdottir et Du temps qu’il fait de Bergsveinnn Birgisson (et j’ai une liste d’auteurs islandais toujours à découvrir).
Et vous, vous êtes sensible à la littérature islandaise ?