Voilà une bande dessinée peu ordinaire dont je voulais absolument vous parler. D’abord parce que, La force de l’ordre, est née de la volonté commune de ces 3 auteurs de « transformer » un livre de sciences sociales de 400 pages en bande dessinée de 100 pages. Ensuite parce que le sujet m’a paru particulièrement d’actualité, 13 ans après.
Pour Didier Fassin, il s’agit plus qu’une traduction, une re-création qui a nécessité 3 ans d’intense collaboration avec Frédéric Debomy (scénariste) et Jake Raynal (scénariste et dessinateur). Restituer la dimension sociologique de l’enquête a demandé un gros volume de travail avec des retours sur les notes de terrain, des recherches iconographiques pour reproduire les sites de l’enquête, les personnages et leurs attributs le plus fidèlement. L’objectif ? ouvrir des travaux universitaires (lus par un petit nombre) à de nouveaux publics et explorer des modes renouvelées d’écriture.
Didier Fassin, lorsqu’il a écrit son essai, a enquêté pendant 15 mois au sein d’une BAC (brigade anti-criminalité) sur le travail quotidien des policiers et sur les interactions ordinaires avec les habitants. Il voulait dépasser l’anecdote et comprendre les moments de violence qui font la Une des journaux.
Les BAC ont été créées en 1990 et n’ont cessé d’augmenter depuis. Leur action est ciblée sur les quartiers populaires, les cités de logement social. Ces policiers ont une une grande autonomie et sont redoutés par les habitants des cités.
L’expérience avait appris à ces jeunes qu’il ne suffisait pas de n’avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et parfois aux interpellations.
Est ce l’ennui ? (le quotidien de ces BAC est loin d’être aussi palpitant que dans les séries, le flagrant délit étant très rare), est ce la politique du chiffre instaurée dès le début par le Ministère ? est ce un système de pensée transmis dès la formation à ces policiers ? (les policiers qui n’adhèrent pas aux pratiques, se taisent puis quittent les BAC) Toujours est il que le tableau est sans concession : tutoiement systématiquement lors des contrôles, fouilles corporelles et contrôles d’identité répétés sans raison (qui, on s’en doute, provoque vexations et à terme colère), humiliation, racisme (les jeunes emmenés au poste sont appelés « bâtards » « singes »).
Ce que montre La force de l’ordre c’est le profilage ethno-racial (immigrés, minorités, manouche) et des agents qui abusent de leur pouvoir mais qui , à quelques exceptions près, ne sont jamais punis.
Page après page, cette enquête essaie de comprendre le comportement des agents des BAC soulignant l’importance de leur formation, de leur environnement d’origine et le fait aussi qu’il y ait très peu de femmes parmi eux.
Au délà de cette branche de la police, La force de l’ordre s’interroge sur ce que ce choix d’une police répressive plutôt que préventive dit de l’action publique.
Aux mesures de justice sociale a donc été préféré le renforcement de l’action policière.
L’essai de Didier Fassin a fait beaucoup de bruit à l’époque de sa sortie. Didier Fassin a été reçu par des politiques, un rapport lui a été commandé mais aucune action politique n’a suivi.
Puisque les politiques n’ont pas l’air de s’alarmer de la violence d’une partie de la police, c’est aux citoyens de monter au créneau et j’espère que cette enquête ethno-graphique permettra à un large public de connaitre les travaux de Didier Fassin.
La force de l’ordre, Didier Fassin, Frédéric Debomy, Jake Raynal, Seuil Delcourt.