J’ai déjà déclamé ici mon admiration pour l’écrivain islandais Jón Kalman Stefansson et combien j’ai été subjuguée par sa plume avec Ásta et tous ses autres livres. Autant dire que lorsque j’ai appris qu’il publiait un nouveau roman, j’avais hâte de l’avoir entre les mains. Invité de l’émission La grande librairie sur le thème du bonheur pour Ton absence n’est que ténèbres (quel titre magnifique !), Jón Kalman Stefansson avait essayé de donner quelques éléments de réponse personnelle à l’éternelle question : qu’est ce que le bonheur.
Je ne vois pas celui ci comme un état permanent (une sorte de béatitude qui me parait impossible du moment qu’on est conscient à la fois des inégalités et injustices autour de soi et dans le monde et de notre exposition à la maladie et à la mort) mais comme des moments fugaces. La lecture de Ton absence n’est que ténèbres m’a procuré de merveilleux instants de bonheur.
Journal de lecture de Ton absence n’est que ténèbres
Comme dans les autres romans de Stefansson, les personnages sont nombreux, portent des prénoms peu usités en dehors de l’Islande (et que je ne sais même pas prononcer correctement), la construction entremêle les époques et différentes histoires. Pour toutes ces raisons, j’ai pris des notes régulièrement dans mon journal de lecture.
J’ai du me retenir pour ne pas noter plus de citations tant les passages qui m’ont émus, questionnésou que j’ai trouvés tout simplement très beaux sont nombreux.
J’ai aussi noté quelques unes des références musicales citées par l’auteur car la musique est très présente, les paroles des chansons écoutées par les personnages faisant écho aux sentiments et aux pensées de ces derniers. Sachez qu’à la fin du roman, une partie est consacrée à cette playlist avec tous les titres présents à différents moments de l’histoire.
Mais de quoi ça parle ?
Les romans de Stefansson ont toujours été très compliqués à raconter. Peut-être parce qu’ils abordent à la fois les questions existentielles les plus universelles et qu’ils nous entraînent dans des dizaines et des dizaines de destins créant comme un tourbillon au coeur duquel il faut accepter de se laisser entraîner, chavirer, se perdre puis voir l’extraordinaire toile d’un arbre généalogique à l’échelle d’une bourgade se tisser.
Dans Ton absence n’est que Ténèbres, un homme (qui est le narrateur) se réveille dans une église située dans un fjord très peu peuplé (moins d’une vingtaine d’habitants) et ne se souvient plus de qui il est, comment il est arrivé ici, quel est son passé. Peu à peu il rencontre des habitants de cette bourgade qui, chacun, vont lui livrer des petits bouts d’histoire familiale et peut-être l’aider ainsi à comprendre qui il est.
Pourquoi j’ai tant aimé Ton absence n’est que ténèbres
Le lieu est unique !
Vous vous rendez compte qu’au maximum, en plein été, il fait 17°C en Islande ? Mais ce sont aussi ces conditions météo qui expliquent que la langue islandaise est si riche lorsqu’il s’agit de parler de neige par exemple. C’est indissociable de la beauté de ces paysages sauvages, hostiles et aussi riches en promesses pour l’imagination pour le lecteur comme pour les enfants vivant là-bas.
Dans ce lieu, une brebis se comporte comme un chien, on donne des noms de personnages historiques à des chats (Cléopâtre et Alexandre le grand), on pique nique dans un cimetière…
Stefansson est un écrivain formidable lorsqu’il parle d’amour
Et toutes les histoires qu’il nous raconte, parle d’amour d’un homme pour une femme, d’un fils pour ses parents, de grands parents pour son petit fils, d’un homme pour un homme. Amour contrarié, amour passionné, amour infidèle, amour impossible, Stefansson manie toutes les cordes de cette partition avec merveille !
A nouveau, elle m’a souri. Souri en me caressant doucement le dos de la main avec sa paume. Puis elle est partie. Partie en laissant la chaleur de sa peau sur mes doigts. Et son sourire partout dans la pièce.
Il y a d’abord des mots pour tout mais ils se révèlent totalement inutiles s’ils ne sont pas suivis d’une étreinte.
La mise en abyme du travail d’écrivain
Le narrateur écrit certaines choses pour se les rappeler, pour ne pas les oublier. Pétrur, pasteur du XIXème siècle, écrit des lettres pour se consoler. N’est ce pas là le rôle de l’écrivain ? Ecrire pour garder les choses gravées, écrire pour panser les plaies.
J’aimerais bien savoir d’où viennent toutes ces lignes. Toutes ces histoires et pourquoi leur besoin d’être couchées sur le papier était si impérieux que je n’ai eu d’autre choix que d’obtempérer.
Un univers dans lequel je me sens bien
Peut-être parce que les personnages que construit Stefansson sont tous incroyables et attachants à leur manière (formidable couple de grands parents Hafrun et Skuli par exemple).
Peut-être que livre après livre on retrouve ce qui rend probablement heureux l’écrivain (sa fascination pour les galaxies, l’importance des livres et des lettres manuscrites, le sourire et les yeux d’une femme….)
Peut être parce que dans ce fjord -et même si cela se passe aujourd’hui car il est mentionné le coronavirus- les valeurs ultimes ne sont pas consommer et produire toujours plus, qu’on est loin de la vie de bureau et de la hiérarchie sociale du travail (ici chacun est plus ou moins indépendant).
Peut-être enfin parce qu’on comprend qu’aucune décision n’est vraiment bonne ou mauvaise et que l’immobilisme est pire encore.
J’ai envie de retarder le plus possible ce moment où je quitterai ce monde où l’amour est si important qu’il soit malheureux ou comblé, ce monde bâti, livre après livre par Stefansson et le formidable travail de traduction d’Eric Boury.
Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefansson, traduit de l’islandais par Eric Boury, Grasset, 597 p.
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