Attention gros coup de cœur ♥. Des romans français de la rentrée littéraire que j’ai lus jusqu’à présent, Les enfants endormis est le premier que j’ai autant envie de défendre. Anthony Passeron (dont c’est le premier roman) nous raconte comment sa famille a été bouleversée, abîmée, meurtrie par les années sida.
Je voudrais que vous le lisiez en sachant aussi peu que moi sur ce roman (ne pas lire la quatrième de couverture) mais c’est plus difficile d’en parler sans rentrer dans les détails de l’histoire. Celle-ci se passe dans une famille de petits commerçants dans l’arrière pays niçois, dans un petit village au début des années 80. Dans cette famille, Désiré est le fils rêveur, celui qui n’a pas envie que sa vie se résume à un train train quotidien, celui qui n’a pas envie de s’absorber entièrement dans le travail comme tous les autres membres de la famille. Désiré est le frère du père de l’auteur (son oncle).
Anthony Passeron déroule doucement le fil de la vie de Désiré qui, a 20 ans, rattrapé par l’ennui, part sur un coup de tête à Amsterdam. C’est à partir de ce moment que comme des dominos qui tombent les uns après les autres, la vie tranquille et sans bruit (dans ce petit village, le qu’en-dira-t-on, la « réputation » est très importante) de la famille de Désiré va commencer à dévier.
Avec la drogue d’abord qu’on associe spontanément dans les esprits à la ville et ses vices mais qui est bien présente dans l’arrière pays niçois, dans les années 80 (bye bye l’image d’Epinal des campagnes, si présente depuis le Covid) :
Ces enfants endormis avaient les yeux révulsés, une manche relevée, une seringue plantée au creux du bras. Ils étaient particulièrement difficiles à réveiller, des claques et des seaux d’eau ne suffisaient pas.
Aujourd’hui je comprends que ces billets fauchés dans la caisse du magasin, c’était bien plus que de l’argent. C’étaient les années d’apprentissage, de travail, de milliers de nuits trop courtes, de réveils avant l’aube, de vacances repoussées.
Puis avec l’apparition de la maladie, celle dont on parle par euphémisme dans la famille et autour, celle que la grand mère nie farouchement la plupart du temps face à la réputation entachée, celle que dans les médias on nomme « syndrome gay » puis « cancer gay » au début des années 80.
Un micro-organisme, surgi d’on ne sait où, réussissait à enrayer une longue histoire d’ascension sociale, une lutte pour devenir quelqu’un de respecté. Il suscitait des sentiments de honte, d’exclusion et d’humiliation qu’elle s’était jurée, il y a longtemps, de ne plus jamais revivre.
On s’en doute, dans Les enfants endormis tout ne finit pas bien et pas seulement pour Désiré. La force d’Anthony Passeron est de livrer à la fois un récit intime (et bouleversant) et sociologique, racontant aussi les années Sida du point de vue de la médecine et des chercheurs. Au passage, certaines choses sur l’administration font froid dans le dos (et pour moi, impossible de ne pas penser à comment cette administration française a obéi aux allemands et aux lois aryennes pendant la seconde guerre mondiale comme le montre bien Les presque soeurs de Cloé Korman) :
La direction de Claude Bernard, gênée par l’apparition d’une population homosexuelle que l’infectiologue attire dans ses consultations, lui signifie que, s’il doit continuer à travailler sur ce syndrome, il devra trouver un autre hôpital où exercer.
J’ai aussi pensé à l’exposition du Muceem « VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie » que je suis allée voir la dernière fois que j’étais à Marseille mais j’avoue, un peu honteuse, que le fait que l’épidémie s’incarne ici dans un personnage qu’on suit depuis son enfance, un personnage qui a vraiment existé, la rend plus « réelle ».
Si réelle, que j’ai lutté lors de la seconde partie du roman (dont je brûle de vous en dire plus car pour moi c’est un sujet qui est resté, il me semble, très tabou ) contre les larmes au fur et à mesure de ma lecture.
Anthony Passeron arrive à faire un grand écart entre avancées de la science expliquées toujours très clairement face à cette nouvelle épidémie (et on voit aussi tous les enjeux géopolitiques, économiques) et un récit familial singulier mais pourtant universel et bouleversant. Bref dans l’océan de titres de la rentrée littéraire, ne ratez pas Les enfants endormis.
2 Comments
Très bonne critique sur le ELLE la semaine dernière, également. A lire donc.
ah il faudra que je la lise !