Je voulais lire Yoga à sa sortie et puis il s’est perdu dans la marée de titres parus. C’est la lecture de V13 qui m’a ramené vers sa version poche. On m’a mis en garde « c’est autocentré« . J’ai pensé à « I am, I am » de Maggie O’Farrel, à Delphine De Vigan parlant de son anorexie, de sa mère et à tant d’autres écrivains. Ce n’était pas une raison pour moi de repousser le livre, tant que le propos n’était pas trop germanopratin, complaisant sur soi même, cynique (j’ai quelques noms en tête) et au final qui ne dépasse pas beaucoup celui qui raconte.
Et puis comment parler autrement de son expérience du yoga (avec l’idée d’écrire un petit livre gai dessus, spoiler : c’est raté !) et de la dépression ? Et si vous vous demandez si Yoga est « intéressant » même si on ne pratique ni le yoga ni la méditation (en tous cas pas dans la forme décrite dans le livre) et si on n’a jamais connu d’épisode dépressif, la réponse est oui bien entendu ! C’est cela la force de l’écrivain, pouvoir écrire sur tout et le rendre intelligible, touchant, universel.
Attention second spoiler : le yoga ne l’a pas sauvé de la dépression sévère et du trouble bipolaire niveau II dont il souffre. Ce qui a sauvé Emmanuel Carrère ce sont les électrochocs (cela me parait fou qu’on utilise encore cette solution de nos jours), le lithium et cette mini dose qu’il prend désormais tous les jours et peut-être aussi se tourner vers les autres (mais cela demandait déjà d’être en état de le faire).
Les causes de la dépression ne sont ni la mort d’un ami suite aux attentats de Charlie Hebdo ni une cause externe même si on sait que le livre comporte des ellipses, tous les passages concernant son ex-femme ayant été supprimés à sa demande.
Souligner que pratiquer le yoga n’a rien changé quand sa plongée dans les ténèbres est arrivée -et que ce tableau accroché dans sa chambre d’hôpital, ce tableau si coloré de Duffy, Marine, est devenu pour lui et pour toujours, synonyme de l’enfer-, est idiot. On voudrait ainsi que le yoga soit efficace comme aujourd’hui toute pratique liée au bien être a un but non exprimé : être plus efficace, plus rentable.
Pourquoi Emmanuel Carrère pratique-t-il le yoga depuis des années ? A cette question, il répond par de nombreuses définitions de la méditation et si je devais en retenir une ce serait l’idée d’être présent entièrement dans le moment présent, d’être attentif à soi comme aux autres. L’idée d’être une « bonne personne » revient aussi souvent sous la plume de l’écrivain.
Ce qu’on ne peut s’empêcher de remarquer en lisant Yoga c’est que lors de son stage de méditation il y a tout de même un repli sur soi et on a l’impression qu’Emmanuel Carrère retrouve un sens à sa vie lorsqu’il est en contact avec des migrants sur l’ile de Leros (une île grecque très loin des images habituelles en bleu et blanc).
Ce livre est de tout façon à des années lumières d’un angle « développement personnel » avec ces phrases toutes faites et ces mantras vides de sens qu’on lit partout comme des doudous rassurants. Le yoga et la méditation n’échappent pas à l’esprit critique d’Emmanuel Carrère et à son humour. Ce livre, l’écrivain a eu l’idée de l’écrire suite à un entretien avec une journaliste qui ne connaissait rien au yoga. Une néophyte comme moi a appris plein de choses, je ne sais pas comment quelqu’un qui pratique la méditation depuis longtemps reçoit ce livre.
Dans V13, Emmanuel Carrère dépasse largement la transcription fidèle de ce qu’il entend pendant des mois lors du procès des attentats du 13 novembre (alors que c’est son seul matériau et un matériau commun à tous les chroniqueurs judiciaires présents). Il trie, sélectionne, organise, contextualise, mets en mots, fait résonner le tout et raconte des petites histoires qui constitue une grande histoire et une part de l’Histoire.
Ici, avant d’ouvrir le livre, je me suis demandée comment il pouvait rendre intéressant, pas ennuyeux, un stage de méditation pendant lequel il est sensé rester assis à ne rien faire, à ne penser à rien (idée fausse, on ne pense jamais à rien) pendant des heures et des jours entiers. Pari réussi haut la main car il nous explique à la fois toutes les sensations qu’il vit et traverse mais aussi toutes les pensées et souvenirs qui viennent à lui lorsqu’il se retrouve assis seul face à lui même.
Je pourrais aussi vous parler de ce thème récurrent dans les romans d’Emmanuel Carrère, le mensonge ou cet écho avec D’autres vies que la mienne avec cet art de raconter toutes ces mini histoires (dont une que je trouve vraiment aussi terrifiante que lui) mais j’ai déjà été très bavarde sur ce livre !
A bientôt Emmanuel Carrère (j’ai la chance de ne pas encore avoir tout lu de lui).
4 Comments
J’ ai lu ce livre à sa sortie. Même si je ne peux pas dire que je n’ ai pas aimé, il m’ a laissé perplexe.
Pour être auto centré, ça c’est sûr, il l’est. J’ avais lu à l’ époque que ce qu’il écrivait de son ex femme était inventé, brodé, et ça ne me l’ avait pas rendu sympathique. Mais j’aime son style d’ écriture.
il écrit clairement à un moment que ce n’est pas un récit mais un roman car il a inventé des personnages (Erika en Grèce par exemple). Cela ne m’embête pas, cela fait partie du travail de l’écrivain.
tu m’as donné envie de le lire celui-là !
ah tant mieux ! j’espère qu’il te plaira