Dans un couple d’artistes, y a t-il de la place pour deux (égos surdimensionnés) ? C’est la question que je me suis posée en lisant Pas de deux de Javier Santiso. Qui connait aujourd’hui Jo Hopper, la femme d’Edward Hopper, qui exposa pourtant aux côtés de Modigliano et de Man Ray ?
Javier Santiso, traducteur de Christian Bobin, met cette femme en lumière aujourd’hui à travers Pas de deux, choisissant de raconter plus que la vie d’un peintre, celle d’un couple. Un couple qui s’est connu à 40 ans seulement, n’a pas eu d’enfants, s’est éloigné peu à peu de tous leurs amis, et vivant replié l’un sur l’autre, de caractère très différent, s’est déchiré mais ne s’est jamais quitté.
Ont-ils passé un pacte ? Elle a cessé de peindre mais a été son modèle unique, toutes les femmes présentes sur les tableaux, quelque soit la couleur de leurs cheveux, leur tenue, c’est elle.
Pour toi, j’ai été toutes les femmes. D’une toile à l’autre, j’ai endossé toutes les jupes. Habillée, déshabillée, brune puis blonde, parfois même rouquine […] j’ai été l’amante, la passante, la cliente, j’ai tenu tous les rôles, moi qui voulais être comédienne, j’ai été servie.
Pas de deux
Le bonheur avec Edward Hopper a été de courte durée. Ce que nous raconte Javier Santiso est l’histoire d’un couple qui ne peut se passer l’un de l’autre mais qui manque d’air, qui suffoque, qui est deux solitudes qui cohabitent. Avec une plume très imagée, Javier Santiso dessine un couple où le désir est absent, où même les mots se sont taris.
Un pas de deux. Ainsi devait s’intituler notre histoire. Notre chorégraphie pitoyable. Deux partenaires désajustés, l’un trop grand, l’autre trop petit, nos corps qui n’ont jamais réussi à s’imbriquer l’un dans l’autre, à s’ajuster aux creux, aux angles. Une vie à deux et seuls.
Jo Hopper n’est pas pour autant présentée comme une victime. L’auteur met en exergue une de ses citations « Bien-sûr s’il ne peut y avoir de la place que pour l’un d’entre nous, ce sera indubitablement pour lui.« . Abandonnant la peinture, elle s’est tournée vers l’écriture, plus de vingt carnets ont été trouvés après sa mort (est ce sur ce matériau que l’écrivain s’est appuyé ?).
N’est-il pas aussi un peu question de l’auteur lorsqu’il parle d‘écriture ou de l’importance des livres ?
De même, on n’écrit non pas pour vivre mais bien pour survivre, pour durer, pour perdurer, on écrit, pour ajouter à la vie vécue, une nouvelle vie, plus forte, plus neuve, pour s’inventer de toutes pièces, une ruelle étroite, un crime parfait qui nous fasse enfin renaître, qui ne se termine pas en cul de sac.
Effets collatéraux du roman Pas de deux
Si j’enrage d’avoir raté la rétrospective consacrée à Edward Hopper à Paris en 2020, si je suis fascinée par les jeux d’ombre et de lumière sur ses tableaux et l’immense solitude qui se dégage de chacun d’eux, j’ai une connaissance très à la surface de son oeuvre. J’ai beaucoup aimé en apprendre plus sur la chronologie de certaines peintures, sur leur contexte et l’analyse très sensible qu’en livre Javier Santiso. Cela m’a donné envie de replonger plus en détails dans les tableaux de Hopper.
Jo Hopper cite également un extrait d’un poème de E.E. Cumming, poète qu’elle encense et forcément j’ai très envie d’aller lire d’autres vers de ce dernier :
J’ai toujours ton cœur avec moi
E.E. Cumming
Je le garde dans mon cœur
Sans lui jamais je ne suis
Là où je vais tu vas
Enfin je ne me prends pas pour Hopper, loin de là, mais j’ai été réconfortée en lisant à propos d’un de ses tableaux, Soirée sur Cap Cod, que l’artiste a mis des mois à ébaucher des croquis et à noircir des pages avant de se lancer.
Pas de deux, Javier Santiso, Gallimard.