Franck Courtès dans sa première vie professionnelle a été un photographe connu. Il a immortalisé les plus grandes stars, il a travaillé pour les Inrocks et Libération, il a probablement mis les pieds dans les plus beaux hôtels et a voyagé aux quatre coins du monde. Et puis un jour, son métier de photographe ne lui a plus apporté l’étincelle, il s’est senti piégé à l’intérieur d’un système qu’il ne cautionnait pas, tout étant produit de consommation y compris ses photos …ou en tous cas c’est de plus en plus cette image qui se reflétait dans son objectif. Le côté artistique de son métier s’éloignant au profit du côté commercial. Alors il a troqué ses appareils photo contre un stylo ou un ordinateur si on veut éviter le cliché. Écrivain il serait désormais.
Il ne s’est pas posé toutes questions liées à une reconversion : vais-je en vivre ? Était-il conscient que seule une poignée d’auteurs vendent beaucoup ? J’ai l’impression que même s’il le savait, cela n’aurait rien changé, comme si écrire était soudainement si vital, si indiscutable que cela effaçait toutes les questions concrètes et matérielles.
Mais le bassement matériel, le quotidien il va se le prendre en pleine face en tant que « nouveau pauvre » car quand on n’a pas un rond, se loger, se chauffer, se nourrir, conserver une vie sociale, tout devient compliqué. Alors pour pouvoir continuer à écrire, il teste tous les petits boulots invisibles et très mal payés, de livreur à laveur de vitres, de manoeuvre à serveur. Son corps morfle mais il écrit la joie inédite du travail physique terminé à une heure précise comparé à un travail artistique jamais vraiment achevé.
A travers ses expériences et son quotidien, Franck Courtès dit la dureté de notre société quand on ne peut pas consommer -(tout est appel permanent autour de soi) et la perversité d’un système de plus en plus « uberisé ». Inscrit à une plateforme sur laquelle il trouve ses missions, il souligne que pour travailler, il faut être bien noté et que pour être bien noté, il faut être prêt à tout accepter.
« Avec l’explosion des statuts de travailleurs indépendants, on se dirige moins vers une société idéale d’ouvriers libres et indépendants que vers une société de serviteurs précarisés ».
En lisant ces lignes, j’ai tout de suite pensé au film très dur mais si juste de Ken Loach, Sorry we miss you (l’histoire d’un homme qui pense devenir libre en ayant sa propre camionnette et qui se rend compte que seul, il n’a plus la force du groupe, des collègues ou d’un syndicat pour le protéger contre les dérives d’un monde ultra libéral) ou à la série Years and Years dans laquelle un des personnages se retrouve livreur pour l’équivalent de Deliveroo.
J’ai aimé le ton à la fois très lucide et mordant de Franck Courtès, j’ai aimé la musicalité de sa plume et je lui souhaite de tout coeur plein de ventes pour ce livre !
A écouter aussi : l’épisode de l’excellent podcast Thunes dans lequel Franck Courtès parle de son rapport à l’argent
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