Éruptions, amour et autres cataclysmes
Deux raisons m’ont poussé à lire Éruptions, amour et autres cataclysmes : d’abord parce que dès que j’ai connaissance d’un roman islandais, j’essaie de me le procurer, ensuite parce que j’ai beaucoup aimé La lectrice disparue lu en poche et grâce auquel j’ai connu cette écrivaine.
Éruptions, amour et autres cataclysmes : au début presque zéro sur l’échelle de Richter
A celles et ceux qui ouvriraient ce roman et qui n’accrocheraient pas au début voire qui ressentiraient un certain ennui, je voudrais dire « je vous ai compris ! » mais surtout ne lâchez pas le livre pour autant (même si en général au bout de 50 pages, si je ne suis pas dedans, je le repose sans culpabilité).
Anna, le personnage principal d‘Eruptions, amour et autres cataclysmes, est une volcanologue réputée et le roman nous plonge dans son travail avec des explications assez détaillées et techniques sur les volcans et l’histoire géologique de l’Islande. J’avais du mal avec la géologie à l’école (et soyons clair avec toutes les sciences dures) alors j’ai trouvé le début assez aride pour moi (même si on sent le travail journalistique de l’écrivaine et que le but est que cela soit compréhensible même pour un néophyte).
Première faille et attraction terrestre
Le roman a commencé à m’intéresser réellement quand Sigríður Hagalín Björnsdóttir aborde des facettes plus intimes du personnage d’Anna : les relations avec son père et sa mère, comment elle a rencontré son mari et là pour la première fois, je me suis dit que j’allais lire le livre jusqu’au bout et que savoir ce qu’allait devenir Anna m’intéressait vraiment.
C’est à ce moment là que j’ai lu ces phrases prononcées par Tomas :
Sans la poésie, nous ne sommes que des animaux privés de raison sur une terre tremblante. C’est elle qui fait de nous des hommes, qui nous offre la transcendance. Elle nous offre la beauté du monde et nous permet de la consigner.
Tomas est le photographe qu’Anna rencontre lors d’une sortie d’observation en hélicoptère, celui qui l’exaspère et qui l’attire en même temps, celui qu’elle essaie par tous les moyens d’éloigner d’elle jusqu’à ce que :
J’avance la main, je lui touche le visage, il ferme les yeux, love sa joue au creux de ma paume, nous tremblons tous les deux, comme heurtés par le même onde de choc. Il rouvre les yeux, ses pupilles sont ardentes, le rire les a désertées, il attrape ma main et m’attire vers lui comme pour danser. Nos corps se touchent, nos joues, nos épaules, nos poitrines, nos ventres, nos cuisses, nous nous étreignons, nous nous enveloppons mutuellement pendant une fraction de seconde – l’éternité. Nos respirations s’accordent, nos coeurs battent au même rythme, une fois, deux fois, trois fois, puis je me détache de lui, je cours vers l’entrée où je trébuche sur les paires de chaussures, je tombe à genoux; […] Mon coeur bat la chamade, je suffoque, j’ai les joues inondées de larmes, je ne sais si je pleure de tristesse, de joie ou de terreur mais cela n’a aucune importance.
Éruptions, amour et autres cataclysmes : l’onde de choc
Cela dit, Anna avait quand même tendance à m’agacer, en particulier face à son fils aîné. Elle croit savoir ce qui est vraiment bon pour lui, se moquant de ses projets professionnels qu’elle juge trop fantaisistes. Et puis Anna, moins rationnelle, émerge peu à peu (scène de la décoratrice d’intérieur très réussie !), elle perd le contrôle :
J’essaie de maîtriser la joie brûlante et angoissée qui se propage à l’ensemble de mon corps tels un virus. Elle sonne à toute volée dans ma tête, elle fourmille sur mes lèvres, elle me chauffe les joues à blanc et me martèle le coeur, une vague de chaleur m’envahit les doigts et le ventre.
Anna est amoureuse (pour la première fois ?) et c’est un véritable cataclysme dans sa vie :
Aimer signifie vivre dans une peur permanente.
Elle s’accroche à l’idée que tout est scientifique (elle a vécu son accouchement en puisant l’énergie de la terre), y compris son attirance pour Tomas (qu’elle tente de résumer à une histoire d’hormones ! tristesse !) mais les secousses dans sa vie ont commencé.
Elles résonnent avec la terre qui tremble de plus en plus en Islande, écroulements intimes et géologiques se font écho avec brio.
Pourquoi j’ai tremblé en lisant Éruptions, amour et autres cataclysmes
Je ne dévoilerai rien mais il est impossible de lâcher les 30 dernières pages du roman et la fin m’a scotché.
Le roman montre avec finesse les intérêts contradictoires des politiques et des scientifiques, l’incompatibilité entre intérêts économiques (et touristique) et principe de précaution.
L’intrigue dit l’arrogance des hommes qui pensent contrôler la nature grâce à leurs connaissances et leur intelligence.
Anna, cette femme admirée parce que rien ne semble l’ébranler, s’est protégée toute sa vie pour ne plus souffrir et on assiste à la naissance d’une autre femme qui accepte d’enlever son armure …elle en est d’autant plus attachante !
Au passage j’ai regardé à quoi ressemblent des scories (lave refroidie), des lapellis (petites pierres poreuses projetées par les volcans en éruption), les caldeiras et les gabbro (mais je suis quasi certaine que je ne saurais pas les reconnaitre).
J’ai aussi appris que le mot « oyat » désigne ces herbes qu’on trouve naturellement dans les dunes et que je dessine assez souvent (on parle d’espace psammophile, à savoir « qui aime le sable », ce mot non plus je ne le connaissais pas !). Saviez vous que les termes varech et goémon désignent la même chose, un ensemble d’algues rejetées par la mer ? On emploie le mot varech en Normandie et goémon en Bretagne. Cela m’a même amené à me renseigner sur ses différents usages à travers l’histoire (combustible, engrais, alimentation animale, gélifiant alimentaire) et comment il a inspiré les artistes (peinture et chanson, merci Wikipédia).
J’ai alors pensé au formidable travail de traduction d’Eric Boury qui a du s’amuser (ou pas) à plonger dans l’univers de la géologie et de la volcanologie pour ce roman que je pensais abandonner et que j’ai fini les larmes aux yeux.
A noter Sigríđur Hagalín Björnsdótti sera présente au festival Etonnants voyageurs auquel j’irais volontiers si Saint Malo était plus proche de Lyon et le train pas aussi cher.
A défaut je vais me procurer son premier livre, L’île, rapidement !