Je n’ai pas lu Les Versets sataniques, tout comme celui qui a tenté d’assassiner Salman Rushdie, un américain de 24 ans. 33 ans après la sortie de ce livre -qui a entraîné à sa sortie manifestations, autodafés, condamnations de la part de certaines personnalités (l’ancien président Jimmy Carter ou l’écrivain Roald Dahl par exemple) mais surtout une fatwa contre lui- alors que l’écrivain est sur scène pour intervenir lors d’une conférence à Chautauqua, il est poignardé à de multiples reprises et laissé quasi pour mort. Parce qu’il ne pouvait pas faire autrement qu’écrire sur cette tentative d’assassinat, est né Le couteau :
Pourquoi maintenant après toutes ces années ? Le monde était assurément allé de l’avant et cette question était réglée. Et pourtant ici, approchait à toute vitesse une sorte de voyageur intemporel, un fantôme meurtrier surgi du passé.
Le couteau, celui utilisé par son meurtrier. Le couteau peut-être aussi pour dire que lui aussi à une arme, les mots et que le livre est, si ce n’est un droit de réponse, une façon de reprendre le contrôle sur le cours des choses.
J’ai compris qu’il fallait que j’écrive le livre que vous êtes en train de lire avant de pouvoir passer à autre chose. Ecrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art.
De ce moment où sans voir pour autant la fameuse lumière, il a pensé qu’il était en train de mourir (avec une tristesse liée au fait que ses proches n’étaient pas là) au retour à la vie publique dans une soirée avec d’autres écrivains en passant par toutes les étapes physiques et morales vécues, Salman Rushdie nous livre ses réflexions.
Si le second chapitre est consacrée à sa femme actuelle, la poétesse et romancière Eliza Griffith, ce n’est pas seulement pour nous raconter leur rencontre assez romanesque mais parce que l’écrivain, face à cette haine que quelques pages des Versets sataniques ont provoqué, ce qui l’a sauvé, selon lui, est l’amour. L’amour de sa femme, celui de ses proches (famille).
Il en fallait sans conteste pour vivre tous les mois de convalescence, tous les examens, les opérations chirurgicales, l’annonce de la perte définitive de son œil quand le pire pour lui (comme pour moi) serait de devenir aveugle, la rééducation, l’acceptation que rien ne reviendra jamais exactement comme avant.
Sur les motivations de l’acte de celui qu’il appelle « le A. », Salman Rushdie ne s’attarde pas réellement mais il consacre tout un chapitre à des conversations imaginaires avec son assassin où il l’interroge tout de même sur le pourquoi de son acte, sur les notions de vérité et d’ennemi.
Sur la religion, il écrit :
Dans la vie privée, croyez ce que vous voulez. Mais dans le monde tumultueux de la politique et de la vie publique, aucune idée ne saurait être protégée et soustraite à la critique..
Avec une plume d’une clarté impeccable, un sens de l’humour toujours présent, Salman Rushdie réaffirme le rôle des écrivains face au fanatisme.
Le couteau, Réflexions suite à une tentative d’assassinat, Gallimard, 269 p