Je sais c’est sûrement un biais : seule la crème de la littérature irlandaise traverse la Manche pour nous régaler de leur plume. N’empêche quel plaisir de lecture en découvrant le talent de conteur de Colm Toibin. Il a, comme d’autres écrivains irlandais que j’ai découvert au fil de mes lectures, ce truc qui m’embarque dès les premières pages et qui donne envie de cesser toute autre activité afin la fin du livre. Et dire que j’ai raté la sortie de Brooklyn, le roman qui précède Long Island et dans lequel on fait la connaissance de l’héroïne, Ellis Lacey. (j’ai vérifié, il existe bien en poche et a aussi été adapté en film, je vais d’abord acheté le livre et je verrai ensuite si je peux trouver le film).
Juste pour le plaisir, ci-dessous, quelques unes des couvertures de Brooklyn (amusant de voir que dans l’édition anglo-saxonne l’héroïne apparait seule au pied du célèbre pont alors que dans l’édition française, c’est son histoire d’amour qui est mise en avant).
Long Island, de quoi ça parle ?
Avant toute chose, pas besoin d’avoir lu Brooklyn pour comprendre et apprécier Long Island. Peut-être que j’aurais lu certains passages différemment (sûrement même) et que j’aurais eu le plaisir de retrouver l’héroïne, de voir son évolution mais cela n’a gâché en rien ma lecture (en plus Brooklyn est sorti en 2009 et je doute que je me serais souvenue de tout).
Long Island s’ouvre sur le tableau d’une famille américaine, dans les années 70. Cette famille parait plutôt heureuse mais le tableau est assombri lorsque Ellis apprend que son mari, Tony, a une maitresse et que cette femme attend un enfant. Alors qu’Ellis a bien du mal à accepter cette nouvelle, elle apprend que tout a été arrangé dans son dos et que la famille italienne de son mari a décidé que le bébé serait élevé par sa belle-mère.
Dès le début du roman, Colm Toibin nous fait ressentir le contraste entre la présence très marquée de cette famille italienne dans la vie d’Ellis (ils vivent dans le même cul de sac et déjeunent tous au complet tous les dimanches) et la famille irlandaise d’Ellis qu’elle ne voit jamais à cause de la distance et dont elle a des nouvelles seulement par lettres.
Pourtant le déjeuner dominical était en lui-même une épreuve. Après le plat de pâtes, elle n’avait souvent plus d’appétit pour l’agneau et le poisson à suivre. Et elle ne savait pas comment prendre part au bavardage collectif. Tout le monde parlait en même temps en s’interrompant d’un bout à l’autre de la table, en un brouhaha agressif qui lui résonnait aux oreilles le lundi venu.
Alors qu’Ellis organise son départ en Irlande pour manifester son désaccord quant à la décision familiale mais aussi faire le point sur ce qu’elle veut pour la suite de sa vie, la seconde partie du roman met en scène la personnage de Nancy, meilleure amie d’Ellis avant que celle-ci ne parte aux Etats-Unis. Je ne vais pas vous en raconter plus sur l’histoire mais ce changement de personnage a lieu sans heurt, l’écrivain ayant le talent pour brosser rapidement des traits de caractère et pour glisser le lecteur dans des vies autres que la sienne comme dirait l’autre.
Pourquoi j’ai aimé ?
Les personnages en particulier féminins sont très réussis et on s’attache à eux que ce soit l’héroïne Ellis Lacey et ses hésitations, ses écartèlements entre deux pays, deux cultures, deux amours, Nancy, l’ancienne meilleure amie toujours complexée par celle qui est partie, qui est plus classe, plus riche, plus mince dans son regard ou bien encore le personnage de la mère d’Ellis, un peu une Tatie Danièle irlandaise d’une mauvaise foi assez incroyable mais qui s’avère sur le long terme beaucoup plus nuancée que ce qu’elle laisse voir au début.
La construction alterne les points de vue d’Ellis, de Nancy et de Jim, l’amour de jeunesse d’Ellis. Classique, me direz-vous et assez courant. N’empêche qu’il est particulièrement intéressant de voir grâce à ce procédé comment Jim a vécu la fuite d’Ellis et comment il a vécu depuis 20 ans.
Il y a aussi un parallèle lancinant entre la famille italienne d’Ellis et la petite ville irlandaise où elle revient : aucun secret n’est possible, tout se sait très rapidement.
Bien-sûr ce qui m’a tenu en haleine c’est la relation entre Ellis et Jim : vont-ils se retrouver ? comment ? à quels dilemmes sont-ils confrontés ? Long Island est romanesque à souhait mais jamais je ne me suis dit « ce n’est pas crédible ». Et puis j’ai aimé voir cette femme gagner une liberté qu’elle n’a jamais vraiment eu, se retrouvant seule pour la première fois de sa vie, ce qui avait souvent été son rêve après tant d’années de mariage.
Jim s’apercevant qu’il était exactement semblable à ses pires clients. Il savait ce qu’il ne devait pas faire mais n’en était pas moins possédé par la pulsion d’aller jusqu’au bout, sans égard pour les conséquences.
Et si je vous disais qu’en plus d’être très addictif, Long Island laisse la situation finale en suspens, appelant forcément pour moi une suite. Please Mister Toibin, n’attendez pas 13 ans pour publier la suite de Long Island !