Non le titre de cet article n’est pas une référence à mon état après une soirée festive et trop arrosée ou cette sensation « gueule de bois » après avoir visionné la prestation d’Elon Musk au show (car il s’agit bien de cela) de Donald Trump. Fracassé est le titre du dernier livre d’Hanif Kureishi dont j’avais beaucoup aimé Le Bouddah de banlieue entre autres.
Le qualifierais-je de roman ou de témoignage ? Il s’agit de textes qu’il a dictés à diverses personnes (sa femme, ses fils) lorsqu’il s’est retrouvé à l’hôpital pendant de longs mois, paralysé suite à une chute (et un accident cérébral). Témoignage me semble enlever la qualité littéraire de l’objet car non seulement les textes ont été beaucoup retravaillés, corrigés et ils ont l’empreinte de leur auteur et Fracassé est plus qu’un journal de bord, Hanif Kureishi aborde d’autre sujet que son état physique et mental suite à cet accident, il écrit aussi sur le métier d’écrivain, son enfance, son rapport aux autres.
Dès les premiers jours, la nécessité d’écrire s’impose et j’ai pensé de suite au livre Le couteau de Salman Rushdie, livre dans lequel l’écrivain raconte toutes les épreuves par lesquelles il est passé suite à sa tentative d’assassinat.
Emprisonné dans son corps qui ne lui obéit plus, contrôle plus et que d’autres touchent, manipulent, inspectent, fouillent quotidiennement, Hanif Kureishi balance entre le plus total désespoir et l’humour (peut-être l’ultime façon de ne pas sombrer totalement).
Sans fard, sans complaisance (il est conscient d’être devenu grincheux, pas aimable même s’il essaie de tisser des liens avec personnel soignant et quelques patients), il exprime sa vulnérabilité soudaine, ses nombreuses frustrations, sa nostalgie de son quotidien avant pour des choses toutes simples.
Il lutte contre le désespoir en étant jamais seul, enchaînant les visites d’amis et de proches tout en se demandant inlassablement quels sentiments il leur inspire, quel poids il est pour eux. Obsédé par l’idée de rentrer chez lui, c’est, il me semble, la seule perspective qui l’aide à tenir.
Pas la lecture la plus réjouissante en ce mois de janvier majoritairement gris côté météo, je reste bluffée par la volonté de cet homme à vouloir se connecter au monde (à petite échelle à l’hôpital en faisant parler les gens qu’il rencontre, à plus grande échelle sur les réseaux sociaux puisqu’il a commencé à partager ses textes sur la plateforme Substack) et par son humour toujours présent.
C’est l’heure de mon deuxième lavement. J’ai hâte.
J’ai renommé le trou de mon cul « la route 66 ». Ce qui fait glousser l’infirmière qui est devenue une amie : « va-t-on savoir, tu veux peut-être finir par aimer ça. »
Il n’y a aucune raison de penser qu’un jugement négatif a plus de poids qu’une appréciation positive.
Fracassé, Hanif Kureishi, traduit de l’anglais par Florence Cabaret, editions Christian Bourgois.