Je l’avoue tout de suite : je n’avais encore jamais lu de roman iranien. En ouvrant La mère des palmiers, j’ai découvert une plume, celle de Nasim Marashi, des lieux, des prénoms, des paysages, une histoire.
Le roman s’ouvre sur une scène : celle d’un homme qui quitte la ville où il vit en voiture avec à son bord, son fils. Rassoud est dans un sale état (il le dit lui-même) : il lui manque des dents, il est bedonnant, il transpire à cause de la chaleur. Mais ce qui transparait très rapidement est sa peur.
Tout en parlant, il cherchait dans leur voix, avec une folle obstination, la trace d’un danger. N’en trouvant pas, il raccrochait et les cauchemars revenaient. Il ne se souvenait plus où il avait caché son couteau à viande ni si la cachette était assez bonne pour que personne ne le trouve. Il ne se souvenait pas quand il avait fermé à clef pour la dernière fois la porte qui menait à la terrasse. Aussitôt il décrochait le téléphone. Raccrochait, rappelait. Cela faisait à peine deux heures qu’il était au travail et il ruisselait déjà de sueur. Il ne pouvait pas rester là. Il ne pouvait se concentrer sur rien, à part sa maison et ses enfants.
Même si on ne connait pas grand chose de l’histoire de l’Iran, même si on n’a jamais lu de roman iranien, on comprend grâce aux mots de Nasim Marashi que le pays est marqué par la guerre. Le bitume est abîmé, le village dans lequel Rassoud arrive est désert. Ce dernier est venu chercher sa femme dans ce village, après des années sans l’avoir vu. Tout le roman est construit entre présent et passé pour raconter ce qu’ont vécu Rassoud et sa femme Nawal pour en arriver là.
La vie de Nawal bascule pendant la guerre avec l’Irak lorsqu’elle perd son jeune fils et c’est aussi à ce moment précis que j’ai perçu la puissance de la plume de l’écrivaine :
Elle le rattrapa par les épaules et le regarda, regarda ses habits vert et jaune citron, rouge à présent. Elle pensa qu’il avait du tomber. Il était sûrement tombé. Elle le regarda. Lui aussi avait les rouges de la poitrine jusqu’aux pieds. […]
Les nombreuses nuits où elle n’arrivait pas à dormir, ce n’était pas des moutons qu’elle comptait, c’étaient les hommes morts de Khorramchar.
Après ce drame, Nawal veut rester à Khorramchar même s’il n’y a plus personne, Rassoud veut partir dans une nouvelle ville. Il veut, si ce n’est recommencer une autre vie, la continuer sans se retourner sur le passé, sans même s’autoriser le deuil. Nawal, elle, ne pourra , jamais oublier et sera marquée à vie par la perte et par la peur. La scène où elle est dehors, qu’une pluie noire commence à tomber et qu’elle est persuadée qu’il s’agit de produits chimiques est terrible !
Peut-être que Naval avait raison : le passé ne serait pas effacé de leur vie. Pendant toutes ces années, Rassoud avait lutté inutilement. Là sous la poussière qui était en train de l’ensevelir, il eut envie que tous ces jours reviennent pour les vivre comme ils avaient été : comme ils avaient vraiment été. Pas de cette manière fausse qu’il avait lui-même fabriquée.
La mère des palmiers interroge sur la vie ou la survie après la guerre, sur nos choix et leurs conséquences (ceux de Rassoud comme ceux de Nawal).
C’est déchirant, poignant et remarquablement bien traduit par Julie Devigneau (et cela me donne envie de lire d’autres roman de cette écrivaine iranienne et en particulier L’automne est la dernière saison).